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Gare de Lausanne : les CFF veulent fermer le site d’entretien du matériel roulant

On veut chasser quelque quarante cheminots

La mort du site d’entretien était annoncée depuis quelques années. Le projet de création d’un grand musée vaudois a précipité les choses. Les CFF n’ayant rien anticipé, une quarantaine de cheminots seront contraints d’aller travailler au diable Vauvert. Mais les quarante cheminots ont décidé de faire de la résistance.

Le site d’entretien où travaillent les 40 cheminots est situé derrière cette ancienne halle. C’est sur ces lieux que devraient être construits les trois musées.

Jeudi 3 juin : annonce par les CFF de la fermeture du site pour probablement fin 2011

Une dizaine d’ouvriers sont rassemblés en cercle devant la porte d’entrée. Ils parlent à voix basse. Leur mine est grave. Si la scène se passait devant une église, on pourrait croire que ce groupe s’apprête à participer à un enterrement. Mais la scène se déroule à quelques dizaines de mètres de la gare CFF de Lausanne, derrière l’ancien dépôt des locomotives. Et la porte, c’est celle de l’entrée du site d’entretien des voitures et des locomotives de la Division Voyageurs des CFF.

Rire jaune

Un homme massif, arborant le gilet orange de sécurité des CFF, sort saluer les ouvriers. Il se présente avec un accent alémanique et de fortes poignées de mains. « Bonjour, Männi Haller, nous allons commencer dans dix minutes. » Des ouvriers demandent à voix basse : « C’est qui ? » Des collègues répondent : « C’est un grand ponte de Berne. » Et quand un grand ponte de Berne vient rendre visite, ce n’est sûrement pas pour annoncer une augmentation générale des salaires. Dix minutes plus tard la porte s’ouvre. A l’intérieur de l’atelier, à côté des véhicules CFF garés sur leurs rails, des tables sont mises, nappes en papier blanc, boissons à discrétion. Des ouvriers arrivent d’un peu partout par petits groupes. « Il y a du monde », lance l’un d’entre eux. « C’est parce qu’il y a une verrée après la séance », lui rétorque son voisin. La boutade ne provoque cette fois qu’un rire jaune. Le « grand ponte de Berne » et Sylvain Amiguet, chef de l’atelier, ainsi que son assistante Elena Ichino invitent les gens à s’asseoir. Plus de cinquante personnes attendent qu’on leur parle. En plus des employés du site d’entretien, il y a aussi des pompiers CFF et des employés de la « bouillotte », nom que l’on donne en gare de Lausanne à l’équipe du service de nettoyage qui sont aussi concernés par ce déménagement. Allez savoir pourquoi on a donné ce nom de « bouillotte » ! Un de ces sobriquets que les cheminots affectionnent !

Situation ubuesque

Le premier à prendre la parole est leur chef Sylvain Amiguet. Un brin embarrassé, le noeu à la gorge. « Depuis l’ouverture du Centre d’entretien de Genève il y a une dizaine d’années, on parle de fermeture de notre site. L’heure semble arrivée. Nous sommes locataires chez Immobilier CFF. Ils ont une opportunité de vendre le terrain au canton pour y construire un musée. Nous devons quitter le site. Mais il n’y a pas de solution de remplacement. C’est une situation ubuesque. Je passe la parole à Männi Haller, responsable P-OP RM. »

TROIS MUSÉES SONT PRÉVUS SUR LE SITE D’ENTRETIEN DU MATÉRIEL ROULANT ET L’ANCIEN DÉPÔT DE LOCOMOTIVES

L’ancien dépôt de locomotives est loué à CFF Historic. C’est dans les halles adjacentes que travaillent les quarante employés du site d’entretien du matériel roulant. Les pompiers CFF et le service de nettoyage des trains sont également installés sur cette surface de 22 000 m² que les CFF sont prêts à vendre ou à échanger contre des parcelles situées à l’ouest de Lausanne. Le 19 mai 2010, le Conseil d’Etat vaudois et la commune de Lausanne ont présenté un projet qui devrait accueillir le futur Musée des Beaux-Arts ainsi que le Musée de photo de l’Elysée et le Musée des arts appliqués contemporains. Le gouvernement demande au Grand Conseil un crédit d’étude de 13,87 millions de francs. La commission ad hoc du législatif vaudois a d’ores et déjà accepté ce crédit qui devra être avalisé par le plénum.

Actuellement à l’étroit dans le Palais de Rumine, le Musée des Beaux-Arts est promis au déménagement depuis déjà quelques années. Un premier projet de bâtiment situé au bord du lac Léman avait été rejeté en votation cantonale le 30 novembre 2008 par 52,4 % des votants suite à un référendum. Les autorités du canton et de la ville de Lausanne souhaitent que le Musée des Beaux-Arts puisse ouvrir ses portes en 2016-2017. Le coût est évalué à 75 millions de francs, qui seront répartis en 40 millions pris en charge par l’Etat de Vaud, 5 millions par la ville de Lausanne et 30 millions par des sponsors privés.

AC

Fair-play…

Le massif Männi Haller n’y va pas par quatre chemins. « Nous avons prévu la fermeture du site pour fin 2011. Il reste donc 18 mois. Il y avait aussi la possibilité de fermer à la fin de cette année. Une solution trop rapide. Ce qui est important pour nous c’est le fair-play. La presse parle depuis plusieurs mois maintenant de ce musée. Faut que vous soyez informés. Nous allons fermer. Vous retrouverez tous un poste à Bienne, Brigue, Genève et peut-être Yverdon-les-Bains. »

Le « grand ponte » poursuit tel un bulldozer sur sa lancée. « Nous avons étudié la possibilité de nous installer dans trois lieux : Sébeillon, Renens ou Yverdon-les-Bains. Sébeillon a notre faveur, mais pour l’heure ce n’est pas possible parce qu’il y a un locataire sur ce site. On ne pourra s’y installer qu’en 2016- 2017. Donc je résume : à long terme on s’installera probablement à Sébeillon et à court terme on fermera le site de Lausanne pour fin 2011. Je vous garantis à tous un poste de travail dans les lieux que je vous ai indiqués ou ailleurs. Mais si vous voulez, vous pouvez chercher du travail ailleurs. »

Etre créatif…

Un lourd silence a suivi le discours de Männi Haller. Le « grand ponte de Berne » a plusieurs fois demandé s’il y avait des questions. Enfin une main se lève. « Si nous allons travailler sur un autre site, il faudra peut-être suivre des cours. Est-ce qu’une formation est prévue ? » Une deuxième question arrive. « Qu’en sera-t-il des indemnités de déplacement ? Bienne, Brigue c’est loin ! » Männi Haller répond que tout se réglera conformément aux dispositions de la convention collective de travail « et que dans un processus comme celui-ci il faut être créatif ». La parole n’étant plus demandée, le chef Sylvain Amiguet clos cette séance d’information. L’ambiance est oppressante. « Servez-vous à boire, il y a tout ce qu’il faut. Dehors Juan et Fred préparent les grillades. Même si l’ambiance n’est pas comme lors de la fête de Noël, je vous souhaite un bon appétit ! »

Jeudi 17 juin : la réponse des cheminots

La quasi-totalité des quarante cheminots qui seront touchés par ce projet de fermeture du site sont affiliés au SEV. Après la séance du jeudi 3 juin, le SEV leur a donné rendez-vous pour le jeudi 17 juin, sur leur lieu de travail. Une séance à 15 h 30 pour l’équipe de jour et une séance à 18 h 30 pour l’équipe de nuit. Les secrétaires syndicaux Jürg Hurni et Jean-Pierre Etique ont conduit ces deux séances.

Les CFF ne respectent pas leur engagement

Jürg Hurni ouvre les feux. « Après la grève de Bellinzone, les CFF et le SEV ont signé un accord sur la procédure à suivre en matière de partenariat social en cas de réorganisation. Cet accord porte le numéro 174.1. Il stipule qu’en cas d’importante réorganisation, les CFF doivent avertir le syndicat. Et si le syndicat estime que la procédure est discutable, il doit y avoir des négociations. Concernant la fermeture de votre site, les CFF nous ont toujours dit qu’ils allaient trouver une solution de rechange dans le canton de Vaud pour fin 2013 et non pas principalement à Bienne pour fin 2011, voire 2010. Les CFF ne nous ont pas informés correctement. Nous avons écrit en date du 11 juin aux CFF pour leur demander de suspendre ce processus car nous trouvons la procédure discutable. » Michel Badoux, président de la section SEV Services techniques Romandie sud-ouest (la section des cheminots du site d’entretien) dénonce : « Les CFF n’ont pas su anticiper les besoins en entretien du matériel roulant .»

On a « oublié » le personnel

Ayant encaissé le coup de l’annonce de fermeture, les cheminots ont relevé la tête et se montrent plus loquaces face aux deux secrétaires syndicaux que le 3 juin face au « grand ponte de Berne » : « Ce n’est pas la faute des ouvriers si les CFF n’ont pas su anticiper la construction d’un nouveau site, cela fait au moins dix ans qu’ils parlent de fermer » ; « Si on déménage à Bienne, qui nous garantit qu’en 2017 nous aurons de nouveau un poste de travail dans la région lausannoise ? » ; « Comment le canton peut-il payer pour le trafic régional et accepter que l’entretien des trains se fasse hors du canton ? » ; « Depuis des mois la presse parle de ce musée mais pas de nous qui travaillons sur ce site » ; « On ne déplace pas les gens comme des pions » ; « Ici l’ambiance est formidable, je ferai tout pour rester avec la même équipe, nous n’avons pas besoin de nous parler pour savoir ce que l’on doit faire » ; « L’entretien du matériel roulant c’est une responsabilité énorme, ici il y a un savoir-faire que les CFF risquent de perdre ».

Site dans la région lausannoise

A l’unanimité, les cheminots présents aux deux séances du 17 juin demandent au SEV d’intervenir auprès de la direction des CFF afin qu’elle cherche avec le SEV une solution de remplacement dans la région lausannoise. Il y a de la place à Sébeillon, Renens, Lonay, etc. mais il faudrait que les différentes divisions des CFF se mettent d’accord... Comme l’a relevé un participant, « il y a aussi la possibilité d’améliorer l’infrastructure du site actuel, cela ne coûterait que quelques centaines de milliers de francs. Et en attendant qu’ils fassent le projet des musées, que les autorités et le peuple vaudois l’approuvent et que les travaux commencent, les CFF devraient bien être capables de projeter un nouveau site d’entretien et de le construire. » Les CFF seraient bien inspirés d’être à l’écoute du bon sens ouvrier plutôt que de suivre les délires des managers.

Alberto Cherubini